Sacrip'Anne

« Oui, je sais très bien, depuis longtemps, que j’ai un cœur déraisonnable, mais, de le savoir, ça ne m’arrête pas du tout. » (Colette)

samedi 13 avril 2024

Princesse Woke et l'ascenseur

Jeudi matin, je suis partie au bureau, comme beaucoup de jeudis et de matins.

J'avais le pas conquérant et une assurance au taquet car j'avais, pour célébrer ma joie d'aller, le soir, voir Paloma aux Folies Bergère, sorti mon plus bel arc en ciel sur les yeux. C'est fou, tu passes ta vie à dire que le maquillage, bah, vous êtes belles, les meufs, telles que vous êtes. Et tu te peinturlures un peu plus que d'habitude : paf, t'es la reine du monde. Je comprends tellement le drag, ce que ça ouvre de ta personnalité que même toi, tu ne connais peut-être pas.

Bon, je suis vite retombée de mon petit nuage : de chez moi au bureau : rien. Personne n'a même fait mine de me regarder un peu fixement. Les gens ne voient rien. Alors on s'en fout un peu, c'était pour moi, pour mon grand, pour le fun. Mais quand même, mon goût de la délicieuse provocation était un peu frustré.

Jusqu'à ce que je monte sur le toit du bureau pour un café matinal. Il faut savoir que nos locaux sont un labyrinthe (probablement conçu par les mêmes mecs que ceux qui ont conçu le plan de circulation automobile sous la Défense). Il y a un seul ascenseur qui va directement sur le toit, les autres s'arrêtent l'étage en dessous. Et la seule façon d'attraper cet ascenseur et pas un autre consiste à l'appeler pour descendre et pas pour monter, puisque c'est également celui qui sert de monte-charge pour les activités de restauration. Et donc parfois, descendre avant de monter. Je vois bien que ça a l'air énigmatique et je ne suis pas sûre d'être très claire, mais telle est la vie, je ne fais que vous exposer des faits.

Bref, j'appelle l'ascenseur, monte dedans et me rends vite compte qu'on est un de ces jours où je vais descendre avant de remonter.

Au -1, un chariot entre dans l'ascenseur, suivi par le type qui le pousse. Le type me voit et ouvre grand la bouche, façon mâchoire qui se décroche. Je me marre et lui dis "Bonjour, je suis venue vous chercher !". Il appuie sur un bouton, me répond que c'est très gentil, merci, la porte s'ouvre à l'étage qu'il a demandé, il se rend compte qu'en fait il va plus haut. "Vous m'avez troublé, je vais au 2e, refaites ça aussi souvent que vous voulez", me dit-il avant de me saluer joyeusement en sortant.

Ca m'a fait le début de journée. C'est pas le truc qui m'arrive le plus souvent au monde, qu'un mec perde ses moyens en me voyant, figurez-vous, cet instant Princesse Woke[1] dans son ascenseur restera donc un moment aussi joyeux que rare dans ma mémoire.

Et bien qu'un peu teintée de tristesses qui s'installent, cette journée a finalement suivi le ton de cette rencontre matinale. Beaucoup de joies, aussi. Et "Paloma au plurielles", c'était incroyablement bon. Allez-y si elle passe près de chez vous (et pas utile, pour ce faire, de vous faire un maquillage comme le mien, le public hétéro chiant est nombreux dans la salle !)

Note

[1] Je voulais tenter un truc du genre Princesse Monowoke mais même moi je l'ai trouvée moyenne.

mardi 9 avril 2024

Une vie parfaitement scandaleuse

Hier soir quand je suis rentrée, Cro-Mi était à la maison. On a passé cinq minutes à s'extasier sur le fait que la maison était rangée, et calme, puis papoté pendant une heure sur le canapé. Au demeurant, une conversation au cours de laquelle je me suis demandé ce que j'avais spectaculairement foiré ou magistralement réussi dans son éducation, voire, les deux, simultanément. (Vous voulez que je vous raconte ? Peut-être pour l'autre blog ? Oui ? Non ? C'est scandaleux, je vous préviens.)

Je suis allée bouquiner dans un bain, porte ouverte. Même pas un chat pour venir flipper du fait que je trempe dans l'eau. Le calme. Le bonheur.

J'en ai émergé un certain moment plus tard pour découvrir que mon enfant chéri avait... fait à manger.

On a dîné en papotant, puis passé une bonne demi-heure à s'extasier que ça nous avait pris 5 minutes montre en main pour débarrasser, mettre au lave-vaisselle, nettoyer la cuisine et préparer de quoi rendre le lendemain matin fonctionnel. Je ne sais pas combien de temps ça va me durer, ce petit bonheur d'un truc qui fonctionne comme on veut, mais c'est du grand kif.

Ce matin, j'ai fait pour la deuxième fois le constat que le petit déjeuner préparé par mes soins ne me faisait pas perdre de temps par rapport aux matins où le coloc veut le faire. Etonnante chose que les rythmes humains discordants. En plus j'ai mangé ce que je veux (j'adore ne pas avoir d'habitudes immuables sur le petit déjeuner).

Le bus était quasi vide (vacances) mais pas la ligne 13. Arrivée à Liège j'ai pris mon air le plus assertif et ai lancé un "pardon" à la cantonade. Une demi douzaine de mecs sont descendus sur le quai pour me laisser passer. Je les ai remerciés, royale, d'un "merci messieurs, bonne journée". L'un d'entre eux m'a même répondu "Vous aussi", imaginez-vous.

Bref, je suis tellement calme et sereine de cette maison qui ne m'agresse plus du tout (enfin pas la maison, vous voyez) que j'ai l'impression de marcher dans le monde telle une meneuse de revue, parée de ses plus belles plumes, dans le meilleur des shows de Broadway.

Ne vous habituez pas. Ca ne durera pas. En attendant, c'est proprement scandaleux.

Que c'est bon à savourer.

(A vrai dire je me demande si ce n'est pas ce badge, confectionné par mon fils bien aimé, qui m'a valu tant de politesse dans le métro ce matin. Scandaleuse, je vous dis)

lundi 8 avril 2024

D'épinards et de sorcellerie

Depuis hier matin vers dix heures, je suis absolument seule à la maison (avec mes deux chats, tout de même. Celui de sorcière et le codépendant affectif qui se prend pour mon mec.)

Avant de partir en vacances, mon ancien compagnon et actuellement colocataire avait fait le marché de ma semaine, pendant que je digérais les effets d'une soirée aussi chouette qu'inattendue, la veille (et malheureusement, d'un retour long et pénible comme seule Valérie Pécresse peut vous en mijoter ces dernières années).

Pour occuper ma solitude, je me suis rapidement trouvé une occupation de taille dont le moi futur se réjouira : préparer cette montagne d'épinards frais de façon à n'avoir plus qu'à les jeter négligemment dans une poêle chaude, quelques minutes avant de les manger. J'ai actuellement l'équivalent de 5 litres de feuilles d'épinards dans des boîte de conservation au frigo et je me félicite de la taille démesurée de ce dernier. Sachant que la présence de Cro-Mi, de loin en loin, n'ira pas jusqu'à absorber plus d'une cuillère à soupe de vert par repas, je pense qu'on peut en conclure que je ne vais pas risquer l'anémie cette semaine[1].

J'ai donc passé une bonne heure à enlever des tiges, rincer, essorer, sécher.

Si vous n'êtes pas capable d'un peu de sorcellerie, ce n'est pas la peine de vous mêler de cuisine. disait Colette.

Et ça tombe bien car dans l'acte de faire la cuisine, il y a ce moment particulier de déroulage de fils de pensées. Dans les miennes hier, ce sentiment d'appartenance à une famille (la génétique et la choisie) de femmes puissantes. De femmes sorcières. De femmes solides comme de grands arbres, racines plantées profond dans le sol, branches et feuilles frémissantes, capteurs des pensées qui voyagent dans le vent.

On en a reparlé un peu plus tard avec une amie-sœur chère.

Cette "puissance" qui fait peur, parfois.

Cette vulnérabilité qui va avec tout ce qu'on capte, tout ce qu'on devine, tout ce qui transite par nous et à quoi on cherche à donner du sens. Par le cœur que nous mettons en toutes choses.

Et le fait d'accepter de la montrer (ouch).

Quand une main vient se poser sur nos écorces, héritées de générations de femmes-arbres-sorcières, elle ne guérit pas nos blessure. Mais elle nous apaise et ce calme relatif est un soin, en soi.

Longtemps, j'ai eu un œil envieux sur l'idée d'être une femme plus simple, qui pouvait éplucher des épinards sans déclencher des tempêtes plus ou moins intérieures.

Plus maintenant.

La sorcellerie, ça rend la cuisine meilleure

Note

[1] Oui, je sais que c'est faux, l'histoire du fer et des épinards, c'était pour faire une phrase.

jeudi 4 avril 2024

Après moi le déluge

On est punis en banlieue.

Je viens d'en avoir la démonstration.

J'avais bien vu "averses" sur mon appli météo. Mais aussi des éclaircies et une vague promesse de soleil. J'ai même regardé les prévisions à Colombes ET Paris parce qu'on ne me la fait pas, à moi.

Evidemment par la fenêtre, ça avait l'air tonique, comme averse. Mais confiante en l'avenir que je suis, même pas peur, me voici partie armée de mon parapluie [1] et, c'est important pour la suite, vêtue d'une robe longue en coton. Mouillée pour mouillée, au moins je sécherai plus vite qu'en jean, m'étais-je dit. Cette force de prédiction va vous étonner.

Me voici donc sortie de l'immeuble, et c'est pas de la pluie, c'est le déluge. Il y a une pellicule de flotte sur le trottoir, les flaques sont infranchissables d'un bond, les caniveaux vomissent de la flotte, l'enfer.

A peine franchies les quelques centaines de mètres qui me séparent de l'arrêt de bus, je suis trempée des pieds aux genoux.

Foutue pour foutue, je m'engouffre dans ledit bus, qui a le bon goût de se pointer immédiatement et de m'emmèner au métro. Répétition du déluge pour aller de l'arrêt à l'entrée de la station (où les sortants campent, indécis, sur le seuil, contrariés par l'humidité ambiante et nous empêchant, nous autres, pauvres créatures trempées, de se mettre au sec. C'est pas pour balancer mais j'ai trouvé ça assez indélicat.)

Je finis par entrer et constate que ma longue robe, désormais gorgée d'eau, a rallongé de dix bons centimètres, ce qui la transforme en serpillère portative et moi en pauvre chose humide et renfrognée.

Bref, le trajet se passe, j'émerge à Liège où une petite pluie polie m'attend. Rien de traumatisant. C'est là qu'on voit les inégalités entre les quartiers bourgeois et les banlieues populaires, je trouve. A nous, les pauvres, la pluie épique, dantesque, et surtout mouillée. Aux riches les petits crachins médiocres.

Ma robe rallongée[2] et moi émergeons de la station, parapluie en main. Un pan de ma robe pendu au crochet de mes doigts, j'arbore le plus pur style princesse, celui-là même qui a fait ma gloire ces dernières décennies (hum) pour éviter de voler le travail des cantonniers parisiens. Enfin princesse qui montre ses jambes, du coup, mais on est en 2024.

Si vous me cherchez au bureau et que je n'y suis pas, c'est sans toute parce que j'aurai trouvé un pressing dans lequel je contemplerai, en soutif et culotte, un sèche-linge en train de faire son office (et si ça se trouve, ma robe aura tellement rétréci après que je ne pourrais plus la mettre, hahaha).

Je sèche, comme je peux, en maudissant l'inégalité sociale qui est la nôtre, même devant la météo.

___

Je déverse beaucoup, et sur beaucoup de blogs différents, ces jours-ci. Sans doute parce que j'ai toujours pris internet pour un psy pas trop chiant, un peu parce que "Parfois, on écrit comme on se déshabillerait devant la fenêtre, sans faire attention si le voisin est là ou pas." [3] J'ai même ouvert un blog de célibat, c'est tout dire. Si ça vous saoule, ignorez-moi. Un jour je serai de nouveau feignasse du blog et vous regretterez ce contenu d'une qualité contestable mais abondant.

Notes

[1] Neyrat, pour les connaisseurs, j'ai le snobisme bourguignon en matière de parapluies. Salut la team 7-1, salut Autun !

[2] Le premier qui me demande si ce n'est pas moi qui ai rétréci, je l'assomme à coups de parapluie.

[3] Cette phrase de mon tout premier blog m'a tout de même valu d'être citée par Pyschologies Magazine il y a deux décennies, on a les gloires qu'on peut, mais excusez-moi du peu.

mercredi 3 avril 2024

De la servitude insupportable et de la perte de gouvernance

Je suis un des "Knights who say Ni!" (ou chevalier du Ni, pour les amateurs de la VF).

La moindre perte de gourvernance ou de capacité à faire ce que je fais d'habitude m'est une torture. Je commence à trouver que oui, c'est un peu moins pratique avec les bras et les jambes en moins (en l'occurrence, c'est plutôt de niveau d'énergie disponible dont on parle).

Bref, quand ça ne va pas, je passe en force, je convoque je ne sais où, mais dans un truc que je tiens probablement de ma mère, une ressource supplémentaire. Je roumègue, je m'entête et je me laisse rarement arrêter sur le chemin d'une chose qui me tient à cœur.

Depuis quelques semaines je ronchonnais intérieurement que je lisais moins vite que d'habitude (et ça m'ennuie copieusement car ma "pile"[1] de lectures en attente, elle, tend à augmenter à la même cadence que d'habitude.

J'ai mis ça sur le dos de beaucoup trop de trucs à penser. Des soucis, des trucs plus joyeux mais envahissants aussi, de la logistique à anticiper.

J'ai mis ça sur le dos de la fatigue assommante qui me tient compagnie ces derniers mois (je lis, je m'endors, rince and repeat).

Et hier soir je me suis rendu compte, et j'en rigole en vous le disant, qu'en fait ma vue a baissé et que mes lunettes ne sont plus à ma taille, si j'ose dire.

La défaite de la vieillerie.

Après vérification, il semblerait que ça fasse deux ans que je n'ai pas mis les pieds ni les yeux chez l'ophtalmo.[2]

Celles et ceux qui ont toujours porté des lunettes se rendent bien compte des armes qu'on rend quand il faut naviguer dans un monde qu'on ne voit pas assez bien. J'ai toujours eu une excellente vue et de très bonnes dents, de mon côté (je n'ai, à ce jour, toujours pas la moindre carie, vous auriez dû penser à ça avant de faire des enfants avec n'importe qui. Le patrimoine dentaire qu'on lègue est loin d'être anodin).

C'est d'autant plus ironique que je me suis copieusement moquée de celui qui vivait avec moi à l'époque où il a été frappé, nettement plus jeune. Moi, ça allait, jusqu'au jour où dans un ascenseur parisien, je me suis retrouvée face à une affiche que je ne pouvais pas lire, faute de pouvoir reculer. Ca doit faire deux ou trois ans que j'ai dû céder à l'appel des verres progressifs et que l'augmentation de la taille de la police sur ma liseuse ne suffit pas toujours.

Et porter des lunettes, excusez moi, c'est d'un banal, mais c'est la merde. C'est toujours : plein de buée, à risque de prendre la pluie et donc d'avoir des gouttes énormes sur les verres par lesquels on aurait envie de voir le monde. c'est jamais à l'endroit où on pense les avoir posées[3].

Le pire c'est que, esthétiquement, ça ne me gêne pas du tout, j'aurais même tendance, parfois, à trouver que c'est une bonne occasion de laisser s'exprimer ma fantaisie accessoiriste naturelle. Mais je maudis le jour où j'ai opté pour ces lunettes qui se teintent au soleil : par beau temps, je suis grillée dès que je descends du roof top.

Bref. Je lutte en vain contre cette déchéance mais la vie gagne. Dans mes bons jours j'aurais tendance à penser que c'est un signe de santé suffisante.

Notes

[1] Une partie très conséquente étant dématérialisée, je ne sais pas si le mot pile s'applique, mais enfin bon, vous voyez, ne vous faites pas plus de mauvaise foi que vous n'êtes déjà !

[2] Et oui, maman, j'ai rendez-vous trèèèèès bientôt !

[3] J'ai écrit cette phrase uniquement pour saluer au passage la mémoire de ma grand-mère qui avait son emplacement n°1, n°2, n°3 etc où chercher. Au cinquième, une légère lassitude pouvait se faire sentir. De mon côté je ne cherche jamais mes lunettes, laissez-moi encore ce petit rempart.