Sacrip'Anne

« Oui, je sais très bien, depuis longtemps, que j’ai un cœur déraisonnable, mais, de le savoir, ça ne m’arrête pas du tout. » (Colette)

jeudi 2 mai 2024

Je vous parle d'un temps

La plupart du temps, quand je pense à la jeune adulte que j'étais, je suis plutôt soulagée d'avoir avancé depuis. Tous ces trucs qui me ravageaient au passage et dont je sais, enfin, un peu mieux me servir. Toute cette pression que je me suis mise pour répondre aux attentes, obtenir l'approbation et dont je me dégage, doucement, petit à petit.

Je me trouve infiniment plus fréquentable maintenant, la plupart du temps.

Si je devais revenir à mes vingt ans, armée de ce que je sais de moi maintenant je... je ferais sans doute exactement la même chose. Ne serait-ce que pour mes enfants, ils sont ma vie et le fruit d'un chemin qui, s'il ne m'a pas rendu heureuse, intrinsèquement, a fait de moi leur mère, le truc le moins regrettable au monde. Et heureuse de l'être. C'est déjà ça.

Alors ok, est-ce que je leur ai rendu service, à les construire comme ils sont, mes petits, trop intelligents, trop sensibles, trop intenses pour leur propre bien-être ? J'espère qu'ils seront plus vifs à trouver leurs chemins, à naviguer le monde. Qu'ils seront plein de vie et d'envies d'un bout à l'autre.

Ils sont là et je me refuse à imaginer un monde où ils ne seraient pas. J'en suis absolument incapable, j'ai le souffle coupé par l'amour que je leur porte et celui qu'ils me donnent.

Si je revenais, donc, ça ne changerait de toute façon pas : le monde est plein de gamins ultra talentueux, brillants, qui apportent ou apporteront au monde des choses qui le rendent au moins un peu plus habitable.

J'en suis incapable. Même moins con qu'à l'époque. Ma présence ici est insignifiante. C'est vertigineux à quel point rien n'a de sens, ni d'importance réelle, si petits sur une si petite planète au milieu d'un univers inconcevable, nos emmerdes si grosses qui ne sont rien et qui nous remuent tant.

La plupart du temps ça ne me pèse pas : ce qui compte, dans la mesure de mes moyens bassement humains, c'est l'amour que je donne, et je crois que je fais ma part.

Et puis les sales journées, où les tracas s'empilent, pas forcément graves, juste assez emmerdants pour déclencher une envie d'aller voir ailleurs, si on y est.

Les jours où on se sent si seule et inutile qu'on se demande "et si je n'étais plus là, à qui je manquerais, dans mettons six mois, un an ?" Mes parents, mes enfants. Et puis ?

Bien sûr c'est passager, bien sûr demain ça ira mieux. Bien sûr je trouverai toujours le chemin pour aller tirer la manche de quelques unes d'entre vous pour leur demander : "Dis, tu m'aime ?" histoire de trouver le carburant pour avancer encore.

C'est juste une de ces journées pleine de vide existentiel. Où quand tu rentres et que ça pue l'oignon et la soupe au poireau de l'aisselle douteuse dans une fringue sale sur ton territoire, que tu ne peux entrer dans aucune pièce sans y trouver quelqu'un, que ton refuge est encore et toujours envahi, que ça vient mettre la goutte d'eau qui fait déborder le vase.

Parfois je me demande à quoi ça sert d'avoir mis tant d'énergie à essayer de me réapproprier ma vie pour si peu de changements concrets plusieurs mois après.

Bref. Assez d'auto apitoiement. Il est l'heure d'entrer dans la musique, puis dans la littérature, comme je m'immergerais dans la mer, habillée de pied en cap, les bras en croix. Pas pour s'y laisser couler mais pour se faire soutenir par le flot. Par la beauté déchirante de certains accords ou de certains mots. Pour que ceux font profiter au monde de leur talents soient écoutés, lus vus, avec l'attention qu'ils méritent.

Ca ira mieux demain.

mardi 30 avril 2024

Gris

Ca fait trois ou quatre fois que j'ouvre un billet pour raconter notre Paris-Carnet d'hier, comme le veut la bonne tradition.

(On a passé un très chouette moment, c'était bon, on a a bien ri, bien papoté, et même été raisonnables).

Mais bon, on ne va pas se mentir, c'est pas la grande forme.

On est à peine mardi et je me suis déjà fait trop souvent la réflexion que Disneyland sur Olympie, à Paris et même en banlieue, ça me casse déjà nettement les pieds. Et ça n'a même pas encore commencé.

Il fait gris.

Le chien a gueulé comme un putois pour accueillir le retour de Cro Mi et de sa licorne cette nuit. Pas rendormie avant pas d'heure. Rien à bouffer pour le petit déj ce matin. Me suis traînée au bureau l'estomac vide et le bâillement aux lèvres. Les copains qui vont moyen, par ailleurs. Le cœur triste, le corps las, les bras vides, je guette l'heure de retrouver une amie ce soir avec impatience. Je ne sais pas si on sera l'une et l'autre dans notre meilleur état mais on sera ensemble.

Mais vraiment, c'était chouette, le ranimage de Paris-Carnet. Faudrait qu'on fasse ça plus souvent.

samedi 27 avril 2024

L'énergie à croum

Dans la grande famille des maladies chroniques, il y en a des plus chiantes que d'autres. J'ai du bol, la mienne s'oublie plutôt bien quand tout est calé. Quand elle se rappelle à moi, je fais moins la maline, mais 90 % du temps on se fout la paix, modulo un pauvre comprimé quotidien pour le reste de mes jours et les contrôles à faire, un peu contraignants mais pas au point de s'en bouffer la vie.

Depuis quelques mois, elle est en mode attention whore.

Depuis quelques mois, je vis donc sur une énergie que je ne possède pas. Je me fournis, à crédit, un peu dans la rage de vivre, un peu dans un entêtement (futile ?) à fabriquer autre chose que du noir.

D'ailleurs ça fonctionne, globalement. Je revois des couleurs au fil des bulletins de santé insolents, des rires, des amis, des moments qui font du bien, passés ou à venir.

Le problème du crédit, c'est toujours les intérêts. Il n'y a pas grand chose de gratuit en ce bas monde.

Chez moi les intérêts ça se paye avec un système immunitaire qui a décidé de jouer au contrôleur de gestion. On dirait que pour me forcer à récupérer un peu, il a vendu son âme au premier virus qui passe, roulé des pelles[1] à toutes les jolies petites bactéries sexy qui se trémoussent sur son chemin.

Il y a dix jours je me suis retrouvée clouée au lit par la crève que tout le monde se traine. 24 heures sous la couette. Là, je recommence (chats à l'appui, ils me veillent comme si mon trépas était prévu pour dans 12 minutes) à cause du tacos de retour de Cro-Mi. J'en avais même pas envie, de ce tacos, en plus, j'en ai pris un petit, des crudités avec parce que c'était plutôt ça dont j'avais faim, et j'étais pas arrivée à la dernière bouchée que je SAVAIS que ça allait mal tourner.

Il faut prendre les choses avec humilité. Si jamais, quand vous exultez de vous sentir en vie, vous êtes pris d'un léger sentiment de surpuissance, ces moments, en plus de vous forcer enfin à vous (re)poser quelques heures, vous mettent une petite claque derrière la tête pour vous rappeler votre triste condition humaine.

Il faut prendre les choses avec humour [2], mais aussi avec rationalité. Oui c'est inconfortable, très. Mais pas mortel.

Alors je lis dix pages, je dors trente minutes, je me réveille et tente, face à une vague douloureuse, de chercher à savoir si ça fait assez mal pour valoir la peine de me lever et me faire un Smecta de l'enfer ou pas. (Oui, j'ai fini par craquer). On recommence le cycle jusqu'à l'heure de dormir plusieurs heures d'un coup. Ou disparition des symptômes.

On médite sur le fait qu'on réfléchira à prendre un rythme plus serein, peut-être, mais pas la semaine prochaine qui est bien chargée, ni celle d'après.

On pense à ce qui fait du bien, on se laisse traverser, on paie gentiment les intérêts. Et dès qu'on peut on bondit sur ses pieds pour aller d'un pas (lent mais) déterminé vers la prochaine aventure.

Notes

[1] Réjouissons-nous, au moins l'un de nous deux embrasse quelque chose

[2] Enfin peut-être pas quand le coloc vient ouvrir la porte en grand sur votre corps à moitié nu pour vous dire que c'est l'heure de manger, sans frapper, alors que vous avez déjà signifié que vous êtes malade, que vous voulez qu'on vous foute la paix et que la moindre mention de bouffe vous envoie un spasme abdominal assorti d'un début de nausée. Là vous avez le droit de grogner, en tout cas je l'ai pris.

lundi 22 avril 2024

Dans le nichoir

J'ai été très marquée, ado, par la lecture d'un livre de Marie Cardinal, "La clé sur la porte". Il s'agissait d'une famille (enfin il me semble que le père était très absent) des années 70, avec une nichée d'enfants à eux plus ceux d'autour, voisins, copains, copains de copains, copains de voisins etc, qui avaient accès permanent à leur maison.

Je pense qu'il y avait un projet "politique" autour de cette clé sur la porte, mais surtout une femme qui daronnait à elle seule une improbable quantité d'enfants dont, finalement, l'immense majorité n'était que de passage. J'ai le vague souvenir qu'elle craquait un peu, sur la fin, mais cet esprit d'ouverture, d'accueil, de discussions avec des ados / jeunes adultes en tant que personnes à part entière m'a accompagnée depuis[1].

Il faut dire que mes parents n'étaient pas complètement étrangers à cette notion. Nos camarades étaient toujours bienvenus à la maison, le dégainage d'un couvert ou deux de plus très facile. Et si ça ne s'est jamais joué par douzaines, mon amie de fac a vécu chez nous, du lundi au vendredi, pendant presque toute la durée de notre première année.

Dans un grand élan d'échanges intergénérationnels, on était copains avec un certains nombres de leurs copains (dont certains venaient aux fêtes que j'organisais dès qu'ils tournaient le dos, dans la plus parfaite des discrétions, en tout cas c'est ce que raconte l'histoire officielle). C'est bien, je trouve, que les mômes aient d'autres adultes que leurs parents ou la famille, dans la vie[2].

C'est donc avec beaucoup de fierté et le poids de cet héritage, mi génétique, mi littéraire, que je porte la couronne de daronne préférée des potes de Cro-Mi. Chez nous aussi, ça défile, ça papote, on rit, on débat, on refait le monde. Les bébés queers savent qu'ils trouveront toujours un asile à ma table et sous mon toit. Et s'ils ne le savent pas, je fais passer le message. Même si tout ceci contient une part de flatterie de la part des "petits" et d'égo surdimensionné du mien, je suis bien dans cette posture (et honnêtement, le monde manque cruellement de mères qui se font des maquillages bigarrés pour un oui ou un non et écrivent des mails salés au proviseur au nom du respect dû aux élèves).

Cro-Mi est parti hier en Irlande avec quelques autres lycéens. Qui me saluent par l'intermédiaire de mon enfant, à l'occasion de nouvelles reçues cet après-midi.

"Salut les licornes. Ne faites rien que je ne ferais pas, ça vous laisse quand même de la marge" fût ma réponse.

Cro-Mi m'indique alors que parmi les consignes, on leur a interdit de danser sur les tables des pubs alentours avec deux grammes d'alcool dans le sang.

"Mais j'avais pas deux grammes et qui lui a dit, à ton prof, d'abord ???"

Message vocal récoltant l'hilarité de la troupe.

C'est facile, c'est cheap, mais ça me remplit de joie, de les faire rire. Ca me remplit de fierté de n'avoir jamais perdu ce lien privilégié avec mon aîné.

Je me demande si j'aurai autant de succès avec mes petits-enfants. Mais bon, avec l'hérédité et l'entraînement que j'ai commencé très tôt, je pense que j'ai un bon potentiel de vieille dame indigne. Soyons optimistes.

Notes

[1] Prise de nostalgie je l'ai racheté mais ne suis pas complètement sûre d'avoir envie de le relire. Comment ce livre aura-t-il vieilli avec moi ?

[2] Etant entendu qu'il s'agit de personnes fréquentables à tous points de vue.

mardi 16 avril 2024

Savoir gérer ses priorités

J'ai commencé un livre, le pauvre, ça fait quatre fois que je m'arrête pour en commencer un autre qui m'est plus prioritaire (comprendre : j'ai carrément envie de le prendre là, maintenant, tout de suite et si tout va bien, ne plus le lâcher jusqu'à la dernière page).

Et pourtant je n'ose pas avoir avec lui LA grande conversation. Qu'on ira pas plus loin, lui et moi. Pour d'improbables raisons dont presque aucune n'a de lien avec notre relation d'histoire / lectrice.

Il attend, donc, sans doute un peu agacé, ou peut-être anxieux. Je le regarde du coin de l'œil, coupable mais incapable d'être responsable de son désamour. Bref. C'est compliqué.

A sa place, je lis un livre qu'aime une personne qui m'est importante[1].

C'est toujours bizarre de lire un livre aimé par une personne qu'on aime, parce qu'au delà de la légère angoisse ("et si moi, je n'aime pas, qu'est-ce que ça dit de notre relation ?"), on y cherche des traces de l'autre, un peu. Ou alors c'est moi ? Je suis complètement folle, c'est ça ?

Et là, il se trouve que dans ce livre, j'ai trouvé quelque chose qui m'est important et que je n'ai lu/vu/entendu que très rarement par ailleurs, dans la vie et le vaste monde, y compris dans la fiction. Tout soudain, je me sens personnage de roman ! Non, pas vraiment, mais ça me fait sourire de savoir qu'il y a ça entre nous. (Je suis probablement la seule de nous trois, l'autre, le roman, moi, à avoir noté ce détail. Mais il est des secrets qu'on a entre soi et soi qui nous font comme une douceur à l'âme.)

Existe-t-il des gens qui choisissent leur prochaine lecture rationnellement ? Par ordre d'écriture, de sortie, alphabétique, d'arrivée dans une file d'attente ?

Je me demande à quoi ils ressemblent (et quels sont leurs réseaux).

Note

[1] Références sur demande en privé.