Il y a souvent, au café qui me nargue chaque jour de bureau parisien à la sortie du métro, une dame âgée, assise seule.
J'avoue la guetter du coin de l'œil, l'envie me travaille de l'attraper en photo par la fenêtre.
Hier matin je sortais du métro et mon appareil de mon sac, commençais à chercher mon bon réglage, et puis, levage de nez, me voici à la regarder me regarder, elle, un sourire éclatant aux lèvres.
Je lui ai souri en retour, elle m'a fait un grand "bonjour" de la main.
Voilà pour ma discrétion légendaire, on dirait que, si j'ai repéré ses habitudes, elle a repéré mon manège.
J'ai failli lui demander, par geste, moi dans la rue, elle dans le café, si je pouvais la prendre en photo. J'ai hésité un quart de seconde, mon envie initiale était de la prendre naturelle, et puis je n'étais pas prête pour cette conversation muette, même si très amicale. Alors je suis partie et j'ai fait d'autres photos.
Depuis, j'y pense et je me dis que ça serait chouette, d'avoir son regard vers moi, aussi, ce moment de connivence matinale. Pas l'idée initiale mais quelle idée n'évolue pas ?
Comme j'ai plus de temps que quand mes enfants étaient petits, et que quand je devais gérer un mec, j'en consacre beaucoup à questionner la pratique photographique.
C'est bizarre d'avoir presque toujours eu un appareil entre les mains, de dix ans à maintenant, et de commencer à vraiment entrer dans le sujet sérieusement à cinquante. Enfin peut-être que ça a en partie à voir avec le temps et la liberté mentionnés ci-dessus.
Quoi qu'il en soit, me voici comme une poule qui a trouvé des bretelles sur le fameeeeeux sujet couleur / noir et blanc.
Il y a des gens qui, pour prendre comme pour regarder des photos, ont des avis hyper tranchés sur le sujet. Souvent en faveur du noir et blanc. Et ça s'entend : c'est graphique, intemporel, ça permet d'avoir facilement des contrastes très intéressants (j'adoooore les contrastes).
Mais la couleur, c'est aussi de la chaleur. Une information. Une indication, un univers en soi.
Alors j'ai fait des versions couleur / N&B de quelques photos qui s'y prêtaient pas mal. Dans l'ordre chronologique de prise de vue...
...avec un musicien dans le métro...
...avec un de mes chats...
...avec des gens qui prenaient le café au pied du bureau ce matin...
Et ça ne m'avance pas beaucoup. Je trouve des choses intéressantes aux deux versions. Je sais dire : j'aime cette version parce que et celle là en raison de, mais pas quelle est ma préférée.
Petite tribune féministe au passage. Il y a bien sûr plein de femmes qui font de la photo de rue, moins qui en font des vidéos. Je le déplore franchement mais je comprends pourquoi : globalement la question d'oser photographier des inconnus peut être tétanisante pour tout le monde, mais beaucoup d'hommes disent "au pire, les gens disent non et tant pis, ça n'est qu'une photo". Or, ce que j'entends et perçois en tant que femme c'est que la confrontation, toujours possible, est rarement aussi simple que pour un homme. On a peur pour notre matos, pour notre intégrité physique, plus que les hommes. Wait. Ca me rappelle un truc, mais quoi ? Les cours de récré et leur occupation majoritairement masculine ? La rue, idem ?
Bref, les meufs qui font des photos, je ne peux pas guérir votre timidité native mais je peux répéter : on peut sortir en groupe. S'en prendre à plusieurs filles c'est déjà plus difficile qu'à une seule. Voilà (ceci est un message personnel à Llu avec qui j'ai toujours plaisir à flâner, alors flâner en prenant des photos, hey, quelle bonne idée. Ou alors toi le son, moi l'image ?!)
Et aussi un sujet pour lequel il a été facile de trancher. Le ciel, ce matin : même pas eu l'idée vaguement bizarre de le passer en noir et blanc.
Il y a des jours où c'est compliqué de trouver une chanson qui ait un semblant de lien avec le texte, même capillotracté.
Il y a peu et pendant une paire de semaines, à l'arrêt de bus qui a ma préférence près de la maison, il fallait, en raison de travaux, se faufiler entre deux barrières, sauter par-dessus un tas de boue pour se hisser dans le véhicule (sauf quand il s'arrêtait 10 mètres avant, auquel cas il fallait sauter par-dessus un tas de boue puis se faufiler entre une barrière et le bus).
La semaine dernière, j'ai découvert en arrivant à l'arrêt qu'il n'était pas desservi, pour cause de travaux. Il s'agit d'une ligne qui n'a pas tout à fait le même trajet à l'aller qu'au retour, en raison de sens interdits. Il se trouve également qu'entre le matin et le soir j'ai vue sur l'intégralité du tronçon non desservi.
Or, je vous le dis tout de go, pas l'ombre d'une raison pour laquelle ce cher vieux bus serait dévié.
Nevertheless, il l'est.
De là à imaginer que dans un monde un peu absurde, les gens des bureaux en charge des travaux aient envisagé une gêne, daté ça à un moment, que la régie de transport ait adapté le service en fonction et que, finalement, les travaux étaient faits plus tôt et sans rien gêner ou presque, mais en oubliant de prévenir et que la déviation soit restée programmée... il n'y a qu'un pas.
(Oui, je suis dans la présomption, je n'ai pas l'ombre d'une preuve. Mais en a-t-on besoin quand on vit en Absurdie ?)
L'autre jour, je regardais une vidéo de Sean Tucker qui me faisait considérer la balance des blancs d'une façon que je n'avais pas envisagée jusqu'alors.
C'est comme souvent, on fait quelque chose "comme on nous l'a appris" ou parce qu'on n'a jamais complètement réfléchi à pourquoi / comment ça sert.
Lui, il est comme ça. Il ne dit pas "il faut", il dit "un jour j'ai réalisé que je pouvais faire autrement, je ne dis pas que c'est ce qu'il vous faut mais je vous explique mon cheminement comme ça, au cas où ça vous inspire".
Il lui arrive de faire un dessin pour illustrer un point, avec sa belle écriture et ses grandes mains expressives (oui, je suis lyrique si je veux).
Et puis un peu plus tard, dans la vidéo, il faisait la promo du magazine qu'il réalise et dit que, dans un numéro spécifique, il parle de la raison pour laquelle il a arrêté d'être pasteur.
Quoi ???
Pasteur ?
Mais soudain tout prend un nouveau éclairage. Ce mec n'est pas, à proprement parler, beau mais il a un visage qui exprime une force, une conviction, une sévérité, une intensité qui... bref, il a exactement la gueule d'un pasteur dans un roman de l'une ou l'autre des sœurs Brontë.
Me voici à rêvasser sur sa vie (imaginer la vie des inconnus est toujours plus drôle que d'en connaître la réalité).
(Oui, je sais de quoi parle vraiment cette chanson.)
Ceux qui ont fredonné "doo-doo-doo-doo" en lisant mon titre ont toute ma tendresse.
L'autre matin, je ne sais plus lequel, lundi ? mardi ? j'étais sur le toit du bureau à boire mon café et à prendre des photos. Gammes techniques et tentatives vaines d'attraper mes émotions au passage. Gros programme pour un début de journée, mais routine indispensable - sauf si la météo l'interdit.
Depuis l'arrivée brutale du froid, vous marchez, innocents, dans la rue, sur un sol sec, pendant que j'exerce mes piètres talents de patineuse non artistique sur le rooftop[1].
C'est assez étrange, à vrai dire, et je ne m'habitue pas du tout pendant l'hiver, à cette sorte de décalage de perception de la météo qui se joue le temps de quelques étages en ascenseur.
Bref.
C'était le début de semaine, je m'apprête à descendre et reprendre le cours de ma journée de bureau et l'ascenseur s'ouvre sur deux types qui avaient oublié d'appuyer sur le bouton pour s'arrêter avant le toit. Une science compliquée, les ascenseurs, dans notre immeuble, ne les blâmez pas.
Je les salue et leur dis que, dommage, à quelques minutes près ils ont loupé le lever du soleil.
Casquette le plus bavard me répond que bah, ils ont l'habitude, ils sont souvent sur des chantiers à l'heure où le jour commence.
Je lui réponds qu'il ne faut pas s'habituer aux belles choses, voyons.
Et puis ils descendent et je me dis que c'est bien un truc de vieille blanche privilégiée à emploi de bureau, ma remarque. Pour moi, on touche à un mélange de frisson métaphysique, à la joie du cahier neuf le jour de la rentrée (celui-là même qui sera raturé dès la première heure de cours), à des pensées, intimes ou pas, certaines partagées dans les minutes qui suivent, d'autres qui resteront à l'intérieur de moi. C'est un moment pour moi, absolument seule - solitude choisie. C'est aussi un moment que je peux choisir de ne pas vivre, si la météo est vraiment contre moi, notamment.
Pour eux, avant la beauté, ça peut être un décor de boulot usant dans des conditions difficiles, dangereuses. De longues heures à tenir, encore.
Quoi qu'il en soit, je ne m'en lasse pas.
Note
[1] Je ne sais pas marcher sur un sol glissant, je n'y peux rien, c'est comme ça, foutez-vous de moi si vous voulez.