Non, ceci n'est pas un billet anarchiste.
C'est pire.
Figurez vous que des choses traversent parfois mon cerveau, le matin au café, quand je contemple les toits de Paris.
Certains jours j'ai une vue d'ensemble, paysage urbain labellisé "admiré par le monde entier", des monuments en veux-tu, en voilà, le jeu des nuages ou de leur absence dans le ciel, aux bonnes heures des bonnes bonnes saisons, le lever du soleil.
D'autres matins, je fais le tour des appartements autour. Il y en a un dans lequel je me verrai bien vivre, grande verrière vers l'est, il doit y faire un peu chaud en été mais une petite terrasse, des plantes, de la lumière, c'est ma came. Pas dans mes prix, mais mon genre.
Parfois, ça me saisit, ce rapport au "chez soi". A perte de vue et à 360 degrés autour de moi, des appartements dans des immeubles. Des petits boîtes dans des grandes boîtes. On y met nos vies, nos papiers importants, nos enfants et animaux. On y vit, mange et dort, on y meurt parfois. Ce "chez nous" devient l'épicentre de notre existence, l'endroit où on revient. On y rêve, on s'y ressource, on s'y sent en sécurité. Nos tanières. Bien à l'abri de la nature dans laquelle nous serions bien peu à pouvoir survivre, comme ça, en un claquement de doigts.
Il arrive parfois qu'on s'y fasse cambrioler, que le feu ou l'eau s'emparent de ce qui nous est précieux et c'est, dit-on, un immense traumatisme. Le coeur de notre intimité ravagé, par malveillance ou pas de chance, ça se conçoit aisément.
Et pourtant, ils sont si fragiles, nos cubes, si vains face à la puissance de la terre et de ce qui s'y produit. J'ai vu un documentaire, un jour, qui disait qu'il faudrait, en cas de catastrophe, une centaine d'années à la nature pour reprendre ses droits, y compris sur le béton. Je ne sais pas quelle était la crédibilité de ce doc, je ne me souviens pas de grand chose. Mais bon, notre cube refuge, celui qui contient tout de nous, si fragile que ça ? On s'endette, parfois, pour revendiquer une propriété sur ce cube plein d'air et de nos objets préférés... on paye des décennies durant pour acheter quelque chose qui est à la fois totalement matériel, une porte contre les bêtes sauvages, un toit contre les intempéries, c'est tangible, et à la fois si absurde ; de l'air dans une boîte qui sera détruite un jour, qui ne portera même plus l'empreinte de notre présence. Le tout pouvant être réduit à rien en une poignée de secondes, de minutes, peut-être.
Oui, je sais. C'est comme la vie, finalement.
Mais quand même, cette absurdité à troquer argent contre droits d'occupation d'un volume d'air délimité par des murs périssables, il y a des jours où ça me retourne le cerveau.
Heureusement c'est fugace, le reste du temps, je me souviens qu'il faut remplir le frigo, passer l'aspirateur, faire l'état des lieux des enfants rentrés ou sortis, des conneries des chats, de l'arrosage des plantes, des machines à faire tourner et de l'électricité qu'il faudrait refaire, un jour, si j'étais riche. La déco aussi, tant qu'à être debout. Et puis, ma maison, c'est là que sont mes livres, alors abstraction ou pas...